Depuis quelques jours, le sujet central de l’activité est (re)devenu le racisme. Le meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis a déclenché un soulèvement mondial contre les violences policières un peu partout dans le monde, et relancé les débats sur les différentes formes de racisme.
Bien évidemment les extrémistes de tout poil s’en donnent à cœur-joie, et on voit apparaître dans le débat des thèmes comme le « racisme anti-blanc », la colonisation et ses dégâts, etc.
Loin de moi la volonté de minimiser l’importance de ces questions ; elles sont loin d’avoir trouvé une réponse adaptée depuis des décennies, et je doute sérieusement que nous y arrivions un jour – hélas. Il faut lutter contre le racisme sous toutes ses formes, quelle que soit la cible et quels qu’en soient les auteurs.
United Colors of Pauvreté
Mais il existe un racisme plus insidieux encore, plus sournois parce que moins visible mais pourtant bien présent : le racisme anti-pauvres. Celui-ci se moque bien pas mal de la couleur de la peau, de la religion. Il frappe de manière indistincte ses victimes, en créant une discrimination par le porte-monnaie. Et il touche tous les âges de la vie.
On a vu récemment nombre de gamins présentés comme décrocheurs, parce qu’ils ont renoncé à suivre les cours donnés à distance par leurs professeurs. Le pré-requis pour suivre ces cours est de disposer d’un équipement numérique (ordinateur, tablette, smartphone..), et quasiment rien n’été proposé par l’Education Nationale pour équiper ceux qui n’en disposaient pas (ou alors disposaient d’un matériel trop ancien donc incompatible avec les outils utilisés par l’enseignant). Et quand bien même, il faut aussi une connexion à Internet qui tienne la route, donc un abonnement que toutes les familles ne peuvent se permettre d’honorer. Et les opérateurs ne se privent pas de suspendre la ligne en cas d’impayés. La volonté du Ministère est de développer les cours à distance – très bien, mais la première des conditions est de garantir un élèves un accès égal à l’éducation, donc aux moyens nécessaires à celle-ci.
Les impayés justement, et les accumulations de frais bancaires qu’ils conditionnent : opération sur compte débiteur, frais de rejet de prélèvement, frais d’émission de lettre recommandée … on peut dire que les banquiers ne manquent pas d’imagination quand il s’agit de ponctionner encore un peu plus un client dans la difficulté – en l’enfonçant plus encore dans une situation de détresse financière au lieu de l’aider, puis finissant par le jeter dehors une fois celui-ci essoré. Le pauvre est alors condamné à suivre d’humiliantes procédures pour ouvrir un nouveau compte chez un concurrent afin de percevoir ses maigres subsides, en sachant bien que le cycle recommencera assez vite. Là aussi, la réponse de l’Etat doit être ferme, en plafonnant par la loi les frais facturés et en imposant aux banques de mettre à disposition des solutions permettant à ces personnes de sortir la tête de l’eau (avec par exemple la création de conseillers sociaux, chargés d’informer les personnes sur leurs droits et les aides disponibles pour sortir de cette situation).
L’accès au logement : les propriétaires demandent un nombre incroyable de garanties, des accès a des informations privées (fiches de paie, déclarations d’impôts, relevés bancaires, exigences de revenus minimum), pour s’assurer que le locataire paiera bien son loyer. On parle même d’un fichier des mauvais payeurs afin de se prémunir contre les malandrins qui voudraient se loger gratis, mais personne ne se pose la question des difficultés que certains peuvent rencontrer et du choix cornélien qui leur est imposé : se loger ou manger… A défaut de logements sociaux, une solution potentielle pourrait être la création d’une agence publique, gérée par l’Etat et/ou les collectivités locales, mettant en relation bailleurs et locataires et garantissant les droits des uns et des autres, via des systèmes de garanties des loyers et une labellisation des logements mis à disposition par les propriétaires – ceux-ci pouvant être incités à utiliser cette agence par une défiscalisation partielle des revenus générés par les loyers.
Les emplois précaires : souvent les pauvres travaillent, dans des conditions assez dures (horaires décalés, pénibilité des tâches). Mais ils enchainent CDDs et missions d’intérims, victimes du mantra de la flexibilité, et qui n’offre aucune garantie sur la pérennité du revenu – et donc par la-même crée les conditions des situations citées ci-dessus. La réforme de l’assurance-chômage voulue par le Gouvernement actuel ne fera qu’accroître encore l’insécurité des plus précaires – qui ont pourtant prouvé à quel point leur travail était nécessaire à la bonne marche de notre société.
Enfin, et probablement le plus dur : la pauvreté conduit à l’isolement social. Ce que les confinés ont vécu durant deux mois n’est qu’un aperçu de ce que peut être la vie sociale des plus précaires. Difficile de sortir boire un verre avec les copains quand on a pas un rond, difficile de rencontrer de nouvelles personnes, de se sociabiliser quand on ne sait pas où on va dormir demain, difficile de s’intégrer dans une entreprise quand on ne sait pas si on revient en deuxième semaine… bref, le pauvre disparaît du tissu social, et se retrouve absolument seul face à ses difficultés.
J’ai testé pour vous
Ces situations, j’en parle parce que je les ai connues. J’ai été une victime de la pauvreté et de certaines des conséquences évoquées ici. J’en parle peu – par pudeur mal placée, probablement – mais j’ai vécu 4 années comme un SDF, alternant logements d’urgence, foyers de jeunes et emplois précaires, sans pouvoir me fixer. Pas de repères, pas de sécurité financière, ni alimentaire, pas de vie sociale …
Pourtant, durant toutes ces années, j’ai régulièrement travaillé. J’en suis sorti grâce à l’aide d’éducateurs, de personnes bienveillantes qui ont mis toute leur énergie et leurs moyens pour lutter contre cette exclusion de classes -ceux-là même qui aujourd’hui, face à des maires d’extrême-droite, luttent pour conserver leurs maigres subventions et continuer à aider des gamins malheureux pour en faire des adultes insérés.
La pauvreté est une humiliation quotidienne, la lutte pour la survie une préoccupation constante – et encore aujourd’hui trop absente des débats. Les pauvres sont des victimes collatérales de notre monde, de sa cruauté, et en prime se retrouvent bannis de la vie sociale. Et le plus souvent ils se cachent eux-mêmes, accablés par la honte d’être pauvres dans une monde ou la réussite financière est un marqueur social. On peut comme Nadine Morano avoir des amis Noirs ou Arabes (j’ai des amis je ne regarde pas d’où ils viennent), mais combien ont des amis pauvres ?
Notre monde se veut moderne, il ne doit laisser personne sur le carreau.
Noirs, Blancs, Arabes … nous sommes tous des pauvres en puissance !!! Ne l’oublions jamais.