Il y a quelques jours, les députés (LFI et RN en tête) ont voté la suppression des Zones à Faibles Émissions dans les grandes villes, arguant de protéger les plus faibles de l’exclusion. C’est une connerie, mais générée par une connerie initiale de ceux qui avaient imaginé cette mesure.
La voiture ça pollue
Jusque là je ne vous apprends rien : la bagnole est source de pollution, surtout dans les grandes villes. Et les choix des constructeurs automobiles au début des années 2000 n’ont rien fait pour arranger la situation. Attirés par une fiscalité avantageuse, ils ont propulsé le diesel en tête des ventes, rendant cette motorisation largement majoritaire dans le parc automobile. Comme en plus ils ont largement menti sur les niveaux d’émissions réels de ces moteurs, on se retrouve avec un parc majoritairement composé de bagnoles plus polluantes qu’attendu.
Donc, nos édiles ont eu l’idée de décréter que les bagnoles les plus polluantes n’auraient plus le droit de circuler dans les centre des grandes villes, là ou la concentration de pollution est la plus forte. En soi le principe n’est pas idiot, ça permet de faire sérieusement baisser le niveau d’émissions (la bonne odeur du gasoil brûlé quand on traverse une avenue bloquée par un embouteillage), et tout le monde respire un brin mieux. Donc ça se tient.
La voiture ça exclut
Sauf que ça pose un problème pour pas mal de gens : les fameux propriétaires des bagnoles concernées, en particulier ceux qui vont bosser à l’intérieur de ces zones. Les zones concernées, les centres des grandes métropoles, sont celles où se concentrent une grande partie des emplois : commerces, bureaux des grandes entreprises, hôpitaux et services publics… Donc là où les gens vont bosser le matin.
Et une grande partie de ces gens, avec des salaires peu élevés, n’habitent pas dans ces zones : la flambée des prix de l’immobilier les a exclus, au profit des propriétaires les plus aisés et des locations saisonnières de type AirBnB. Comme on n’emploie rarement des clochards, ces personnes là vivent en banlieue ou dans les cambrousses environnantes (pour ceux qui aspirent à être propriétaires et avoir un peu de tranquillité).
Vous me direz qu’il existe des transports en commun. La plupart des banlieusards s’en sortent, au prix de contorsions entre les retards chroniques, les grèves régulières et des temps de trajet qui ne donnent pas très envie. Mais dans certains cas, ce n’est pas une solution envisageable.
Imaginons une aide-soignante qui vit à la campagne, à une trentaine de kilomètres de son lieu de travail. Elle embauche le matin à 6h45, ou termine le soir à 21h15 (dans certains cas, elle bosse de nuit et elle embauche le soir pour terminer à l’aube). L’offre de transports est marginale à cette heure-ci, ou ça n’est pas forcément sécurisant, et quand bien même, elle est contrainte de terminer son trajet en voiture parce qu’il n’y a rien dans sa campagne. Donc quitte à conduire, autant faire tout le trajet d’une traite, elle gagne forcément du temps.
Avec les ZFE, celle-ci se voit contrainte d’acquérir une voiture récente, si possible électrique ou hybride, pour se voir attribuer une vignette lui permettant de circuler. Sauf que ça coûte un œil : le prix moyen de ces engins est d’environ 30.000€, le Gouvernement a sacrément sucré dans les aides à l’achat, et avec les salaires et les niveaux de charges actuels, notre aide-soignante ne se voit pas s’endetter sur 10 ans pour un machin à 4 roues – dont elle a malgré tout besoin pour se déplacer.
Je prends cet exemple à dessein, sachant qu’un hôpital fait travailler entre 600 et 3000 personnes selon sa taille, et que la majorité vivent assez loin de leur lieu de travail. C’est valable aussi pour les employés des magasins, souvent en horaires décalés, et pas mal d’emplois peu payés qui sont nettement majoritaires dans le pays. Donc cette mesure, au final, touchait pas mal de monde. On peut douter (à raison) de la réelle empathie des députés RN pour « le peuple », mais force est de constater que l’argument fera probablement mouche auprès de leurs électeurs.
Une mesure mal fichue
D’entrée de jeu, le machin était mal conçu : les maires concernés ont regardé comme d’habitude le nombril de leurs villes ( et leur éventuelle réélection), sans se pencher sur ce qu’il se passait autour. L’idée en soi n’est pas mauvaise, mais elle ne peut s’accompagner que par un package de mesures destinées à en limiter les effets excluants :
- D’abord, permettre aux gens qui bossent en ville de s’y loger : c’est du bon sens (plus on vit près de son travail, plus facilement on peut s’y rendre), en limitant très fortement le coût du logement en centre-ville. Le prix d’un T3 dans les grandes villes atteint des sommets délirants, que ce soit à l’achat ou en location, et peu de personnes peuvent se permettre d’y vivre.
- Ensuite en renforçant et densifiant les offres de transport autour, avec de vraies politiques à l’échelle des communautés d’agglos (avec lesquelles on nous promettait monts et merveilles), voire des départements pour densifier les transports en commun et développer le covoiturage (moins de voitures ça pollue moins – et ça c’est de la bête arithmétique). Les solutions existent, il suffit d’un peu de volonté politique. Les ZFE ne seront utiles que dans le cadre de vraies politiques de mobilité qui prennent en compte tous les besoins.
- L’État a aussi sa part à prendre : supprimer les aides à l’achat était une grosse connerie, le succès du leasing social a montré que les gens sont prêts à faire l’effort de changer de bagnole pour peu que ce soit dans leurs moyens. Depuis l’arrêt des aides, les ventes de voitures neuves ont chuté, le parc vieillit et donc pollue plus. L’empilement de normes et d’équipements obligatoires alourdit et enchérit le prix des bagnoles neuves, alors qu’ un véhicule léger, même avec une autonomie moyenne (la majorité des trajets se font dans un rayon inférieur à 50 kilomètres) et 0 émission, vendu à un prix raisonnable, remplirait les besoins de la majorité des Français·e·s. Certains proposent même d’électrifier des véhicules déjà existants, sans rencontrer hélas beaucoup de succès, alors que ça évite de refabriquer des bagnoles entières.
Personnellement, et à rebours de certains, je ne vois pas d’un mauvais œil la suppression d’une mesure mal-née, tout en espérant qu’elle reviendra, accompagnée de vraies mesures permettant son acceptation et son application sans exclure qui que ce soit. Ça nécessite des investissements (et là je doute que nos gouvernants actuels comme futurs soient prêts à s’y coller), mais c’est aussi une question d’avenir pour nos mioches et les leurs.
Tiens ! Tu fais des billets de blog, maintenant ?
Ce pataquès des ZFE est emblématique de la manière avec laquelle est appréhendée la défense de l’environnement par nos politiciens (et pas que les écolos, on ne va pas leur reprocher des mesures mises en place alors qu’ils n’étaient pas au pouvoir mais je n’oublierai pas leurs commentaires suite aux récents textes).
C’est mal barré.
Amen.