À force de regarder l’élection américaine avec notre prisme franchouillard, personne n’avait vu venir le retour de l’anomalie Trump. Et pourtant, le voilà reparti pour 4 ans à la tête de la nation la plus puissante (et la plus bête ? ) du monde.
Les 2 Amériques
Comme la plupart de nos politiques bien français, les démocrates ont complètement oublié qu’il existe 2 Amériques : une Amérique bobo, éduquée, avec un niveau de revenu élevé et sensible aux droits des minorités et à la géopolitque mondiale. Cette Amérique, sensiblement celle des grandes métropoles et des états « littoraux », l’Amérique des grands centres financiers, de la Silicon Valley, a voté massivement pour le camp démocrate.
En face, on trouve une autre Amérique, celle qu’on désigne comme l’Amérique « profonde ». Elle est composée essentiellement d’immenses exploitations agricoles, d’usines qui ferment les unes après les autres, de zones éloignées des grands centres de décisions et de populations qui subissent les effets pervers de la mondialisation, sans en percevoir les bénéfices. Cette Amérique est aussi celle du roi-pétrole qui a permis tant de conquête et qui est aujourd’hui honni par le camp d’en face. C’est cette Amérique-là qui a massivement choisi Trump.
Je suis loin de penser que les électeurs de Trump soient tous des racistes, misogynes, évangélisés. Je pense même que certains ont voté pour lui par défaut, sans forcément cautionner ses excès de langage, ses pratiques souvent à la limite et ses postures extrêmes sur certains sujets. Toutefois, il leur propose un modèle de société dans lequel ils se reconnaissent : celle de la liberté de s’exprimer comme ils le souhaitent, de porter des armes et de se prononcer par eux-mêmes sur les sujets de société. Il suffit de voir que dans les 7 États où un référendum sur le droit à l’avortement était organisé, Trump a remporté les États, mais les électeurs se sont prononcés pour la préservation de ce droit.
L’erreur des démocrates aura été de coller au train de Trump, de le faire passer pour un dingue, pour un dictateur en puissance (ce qu’il est probablement), et de ne pas, en face, proposer un projet en capacité d’embarquer toute la société américaine derrière elle.
L’influence d’Elon Musk
On a aussi, dans cette campagne, beaucoup parlé de l’infuence d’Elon Musk. Alors qu’il a pourtant le profil idéal de l’influenceur démocrate (issu de l’immigration, à la tête de compagnies utilisant la haute technologie), il a choisi de s’engager pleinement derrière Trump et de mettre son réseau X au service de sa campagne. Il est devenu en quelques mois une véritable rock star, mettant en scène de façon outrageuse et parfois ridicule ses apparitions dans cette campagne.
Pour autant, je crois sincèrement que son influence reste limitée. X est en perte de vitesse depuis le rachat et les nombreuses transformations qu’il a subi, ses messages sont parfois ridiculement outranciers, et, s’il a été un sujet pour les journalistes, je ne pense pas que l’électeur américain moyen se soit prononcé en fonction de ce que pense le patron de Tesla. Si certains peuvent penser qu’il incarne le rêve américain, pour l’ouvrier qui voit son usine Ford fermer ou l’agriculteur du Midwest, ce n’est qu’un personnage parmi d’autres. Ce qui est inquiétant, c’est désormais l’influence qu’il peut avoir, via les commandes publiques passées à ses sociétés et la potentielle responsabilité qu’il aura dans la future administration.
N’oublions pas que Musk est atteint d’autisme Asperger, et que son mode de pensée peut parfois être déroutant. Il aura forcément des positions et des postures déroutantes pour le commun des mortels, un profond mépris pour les conventions et, sans gardes-fous, pourra en effet représenter un danger dans les décisions qu’il prendra à l’avenir.
La suite c’est quoi ?
Ce qu’il va se passer dans les prochains mois est difficile à deviner. Trump est un personnage imprévisible, il aura à sa main une administration, un Congrès et un Sénat à sa main, et depuis son premier mandat une Cour Suprême façonnée par lui, donc dévouée. Il aura les coudées franches pour agir à sa guise.
Il agira très certainement en ayant pour seule visée les interêts américains, donc ses propres interêts. Il se préoccupera assez peu de politque internationale, sauf si elle menace les interêts de son pays, n’a que faire de la situation en Ukraine et soutiendra Israël parce que ses électeurs soutiennent Israël. Il se tamponne comme de sa première chemise des droits humains et environnementaux, et on peut penser que pendant les 4 prochaines années l’Amérique jouera sa propre partition, y compris au détriment des autres continents. La vieille Europe devra apprendre à faire sans et à fonctionner selon ses propres interêts – une première depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
La bonne nouvelle c’est que Trump n’est pas éternel, et que c’est déjà un vieil homme. Il ne prolongera pas son mandat au-delà des 4 ans, pour ne pas retomber dans l’effet Biden, et ne préparera pas efficacement sa succession, parce qu’il est bien trop mégalomane pour cela. Les démocrates devront rapidement faire leur examen de conscience, tirer les leçons de ce lourd échec et préparer rapidement l’alternance pour la prochaine élection, sous peine d’être balayés pour longtemps du paysage politique.
Et en France ?
« L’Amérique n’est pas la France et ça ne se passera pas comme ça chez nous », c’est le discours dominant de nos politiques qui n’ont pas vu venir le truc. Pourtant, on y retrouve peu ou prou les mêmes divisions : une France qui profite à plein de la mondialisation, cultivée, éduquée, et qui vit dans des conditions confortables, et une France qui trime pour boucler les fins de mois, où les services publics s’éloignent, où on se préoccupe plus de remplir l’assiette du petit dernier que de la situation à Gaza ou des droits des minorités.
C’est dans cette France que le vote populiste est majoritaire, qu’il s’inscrit de plus en plus dans les mœurs et qu’il est de plus en plus assumé ouvertement. C’est cette France qui est négligée par les politiques de droite comme de gauche (il suffit de se rappeler de l’appel à Mélenchon de cibler la jeunesse et les banlieues et « tout le reste on perd notre temps« ), cette France qui s’éloigne de plus en plus des préoccupations de nos responsables politiques, cette France qui subit les plans sociaux et les hausses d’impôts, à qui on demande depuis 40 ans des sacrifices sur les salaires, les retraites, le chômage au nom de la sacro-sainte « dette » dont ils n’ont pas vu à quoi bien elle a servi. Cette France-là, elle est peut-être un peu raciste, mais elle est surtout abandonée à son sort et elle se jettera dans les bras du premier ou de la première qui lui promettra de revenir à une situation plus claire, plus simple et ou le bénéfice sera immédiat, même si rien de tout cela n’est vrai.
Finalement, la vraie leçon est peut-être là : si les politiques arrêtent de vouloir avoir raion envers et contre tout et s’ils prennent le temps de s’interesser vraiment à ce dont les gens ont besoin, alors peut-être qu’ils pourront gagner à nouveau la confiance des Français. Et s’ils ne le font pas, d’autres le feront pour eux… pour le meilleur mais surtout pour le pire.
Analyse très correcte et pas outrancière, en effet il manque 11 millions de voix à Harris : des jeunes, des travailleurs etc.. toutes les catégories où mécaniquement Trump progresse. C’est le seul point majeur. Après faudrait avoir suivi la campagne sur les TV US pour avoir une idée sur ce qui a foiré chez les démocrates. On ne peut pas se baser sur ce que les médias chez nous en ont rendu. Et comme tu le remarques, l’UE va se trouver confrontée à cet olibrius et ses menaces sur l’Otan, l’Ukraine… sans compter sur les droits de douane qui vont .. hahah rajouter de l’inflation sur le nez de ceux qui ont couiné que l’inflation… Je le vois bien se lancer dans une guerre commerciale avec la Chine , l’UE (« petite chine » a t’il déclaré à notre sujet) .. et la perdre vu que ses usines ont le même problème que les nôtres : le made in local coute bien plus cher, et n’est parfois même plus produit et remplacé par des produits venue d’Asie et pas que de Chine.
Très juste analyse ! Bravo à toi ! Je ne suis pas une « politique », mais j’ai ma propre vision des situations mondiales. Je te suivais sur Twitter que j’ai quitté lors du rachat de Musk que tu as bien décrit comme un homme dangereux ! Continue tes analyses très intéressantes et je continuerai de les lire. Merci Stéphane et j’espère que ta vie est belle en Bretagne !!! 😉 belle soirée