Le marronnier de la rentrée est de retour : que font les pauvres de l’allocation de rentrée scolaire, généreusement distribuée par l’État (sous conditions de ressources), et à la base destinée à couvrir les frais inhérents à l’éducation des enfants.
Le boom des “écrans plats“
Jean-Michel Blanquer, appuyé par son Président, l’affirme haut et fort, cette allocation est principalement destinée à l’achat d’écrans plats. On sent déjà que le Ministre est loin d’être à la page, voilà plus de 10 ans qu’on ne vend plus QUE des écrans plats, les antiques téléviseurs à tubes cathodiques ayant totalement disparus de la circulation. Par ailleurs, les chiffres de ventes ne montrent pas un décollage foudroyant des ventes de téléviseurs à cette période.
Sauf que, dans la réalité, ce n’est pas tout à fait ça. La rentrée ne consiste pas seulement à acheter 2 ou 3 stylos et un lot de cahiers pour son gamin, il y aussi une multiplication de frais annexes à régler : restauration scolaire, abonnement de transport, inscription aux activités sportives et/ou artistiques, renouvellement parfois complet de la garde-robe (et oui un gamin ça grandit)… les familles sont souvent confrontées à une accumulation de dépenses dès septembre. Parfois la rentrée nécessite l’acquisition d’un ordinateur supplémentaire, ne serait-ce qu’en prévision des cours donnés en visio – ou parce que, dans une société de plus en plus numérique, familiariser les gamins à l’utilisation de ces outils, c’est aussi leur donner une chance supplémentaire de réussir leur vie professionnelle.
L’école, même gratuite, coûte cher. Et pour les familles les plus précaires, l’allocation parfois ne suffit même pas à couvrir l’ensemble des dépenses nécessaires, mettant en péril l’équilibre financier déjà éprouvé du foyer. Quand on a déjà du mal à joindre les deux bouts, devoir affronter des dépenses contraintes pour l’éducation des gosses sera souvent synonyme de découvert, d’agios … ou de choix cornéliens à faire sur les autres postes budgétaires (la réparation de la voiture pour aller bosser, le loyer qu’on rattrapera un peu plus tard ou carrément les courses … ils mangeront à la cantine).
Flécher la dépense
Souvent, on entend un discours qui dit qu’on peut transformer cette allocation en bons d’achats fléchés vers les postes de dépense considérés comme utiles. Moi je veux bien. Sauf que déjà c’est un enfer logistique pour les magasins, ça va signifier de catégoriser des familles de produits comme éligibles ou non-éligibles, et pointer du doigt les utilisateurs de ces fameux bons d’achat (à lire sur ce sujet la réponse d’Agnès Buzyn, alors Ministre de la Santé et des Solidarités, à une question de Samia Ghali, sénatrice des Bouches-du-Rhône)
De plus, qui va décider des produits considérés comme rentrant dans la catégorie achats de rentrée et des produits non-éligibles. On se rappelle de l’absurdité des décisions sur les rayons ouverts ou pas dans les hypers l’hiver dernier, autorisant à acheter des slips pour les gosses mais pas pour les adultes, te permettant d’acheter des fenêtres mais pas les rideaux et autres situations ubuesques. Je ne vois pas des technocrates du gouvernement décider d’une liste qui ne conviendra de toute façon pas à tous, chaque gamin ayant des besoins spécifiques.
Et puis se pose la question du gaspillage. Une fois les achats faits, s’il reste des bons, que fait-on ? On les laisse dans un tiroir, signifiant ainsi qu’on laisse dormir de l’argent payé par le contribuable, ou alors on dépense le solde dans des fournitures, certes éligibles, mais dont l’enfant n’aura pas forcément besoin, gaspillant encore une fois des ressources pour des produits qui finiront dans une poubelle.
Le contrôle permanent
Enfin, une telle mesure aurait pour effet de stigmatiser encore une fois les plus pauvres, entretenant le mythe qu’ils ne sont pas responsables de leurs dépenses, et donc que c’est à cause de cette irresponsabilité qu’ils sont pauvres. On ne s’interroge pas sur la vie que mènent ces familles, dont les parents sont parfois au chômage de longue durée et/ou enchaînent les contrats précaires, ou sur celles et ceux qui à la suite d’un accident de la vie (divorce, maladie, accident..) ont plongé dans une spirale de précarité dont il est toujours plus difficile de sortir.
Étrangement, personne ne demande des comptes aux Arnault, Pinault, Bolloré, Mulliez, RIboud … sur l’utilisation des milliards d’aides publiques qui leur sont versées chaque année, et dont on ne voit pas forcément les effets que ça soit sur les niveaux de salaire où sur les courbes du chômage. Par contre, on voit ces effets sur la hausse des rémunérations des plus riches, sur le dividende des actions … bref sur le système financier qui lui, tourne à plein régime, mais ne ruisselle pas vers l’ensemble de la société.
Mais il est vrai qu’en période d’élections, il est bien plus aisé de stigmatiser les plus précaires, de fracturer encore un peu plus la population, plutôt que de chercher à ressouder une Nation autour de valeurs solidaires…