J’adôôôre les sushis

Avec le confinement, il est une activité qui a explosé : la livraison de repas à domicile. Un business qui se partage entre 2 mastodontes : Deliveroo et Uber Eats. 2 mastodontes dont le business est basé sur le libéralisme le plus pur …

Comment ça marche ?

Pour le client c’est hyper simple. Il faut un smartphone, une application gratuite, et une Carte Bleue (évidemment). Vous voilà parés pour manger ce qui vous fait envie, quand vous en avez envie … et pour jouer un petit peu à Big Brother.

Pour le livreur, il faut : un smartphone, une application (différente), de gros mollets, un vélo, un statut d’auto-entrepreneur (ou micro-entrepreneur ou esclave des temps modernes)… et une bonne dose de soumission.

Nous voilà partis dans ce monde merveilleux. Le client sélectionne son envie du moment (des sushis à 20h un dimanche soir par exemple), passe sa commande, paye son repas au tarif normal, et les frais de livraison, puis pose son télephone. Au bout d’un court moment, il reçoit une notif’ l’informant que “Machin” a pris en charge sa commande et sera chez lui dans quelques instants, avec une fourchette horaire courte précisant l’heure d’arrivée du dit “Machin” à sa porte. Et là, comme par magie, il peut suivre en temps réel le parcours du livreur qu est géo-localisé en permanence. Il ne faudrait pas perdre de vue les précieux sushis qui avancent parfois à une vitesse digne d’une étape du Tour de France.

Pour le livreur, commence au moment de la commande une compétition acharnée. Le livreur déclaré disponible dans l’application reçoit une notif’ l’informant qu’une commande de sushis est à livrer chez Elodie et qu’il ferait bien de se rendre au restaurant séance tenante. Sauf que … ce n’est pas toujours le plus proche qui est sélectionné : les plate-formes ont mis en place un système d’algorithmes éminemment complexe pour sélectionner qui sera l’heureux élu. Ça dépend bien sûr de sa localisation (d’où les regroupements de livreurs devant certains fast-foods, gros pourvoyeurs de commandes), de sa note, de son ancienneté , et d’une formule plus secrète encore que la potion magique de Panoramix.

Parlons de la note. Le client final note la course, comme il le veut, avec un système d’étoiles. Cette notation est purement subjective, et peut être “à la tête du client”. Sauf que, si les les mauvaises notes s’accumulent, le livreur peut être exclu et/ou suspendu de la plate-forme, et donc se voir priver de. son gagne-pain. Droit de vie ou de mort professionnelle mise entre les mains d’inconscients … si ça c’est pas du libéralisme.

Enfin, le nerf de la guerre, la rémunération. Les livreurs sont rémunérés à la course, et pas un fixe pour chaque course, non! La distance va rentrer en compte bien sûr. Et pour gagner sa croûte, il faut bien évidemment maximiser le nombre de courses. Sauf que ce n’est pas le livreur qui choisit, mais l’algorithme. Donc, le gars ne peut pas refuser une course de 300 mètres qui lui rapportera quelques centimes, en espérant que la suivante sera plus lucrative, puisque trop de refus dégrade sa position et donc le nombre de courses qui lui sera envoyé. Si en plus le client qui habite à 200 mètres du restaurant note mal, c’est vraiment le gros lot.

Esclavage moderne

Résumons donc : on a un système de dépendance totale à la plate-forme, avec des notations à la tête du client (qui peut pister votre trajet au mètre près), des courses payées à la tâche et sélectionnées par l’application, un statut d’auto-entrepreneur qui n’offre quasiment aucune protection sociale, aucune responsabilité de la plate-forme envers les livreurs (pourtant elle prend sa com’ à chaque course bien sûr) et donc pas de revenu garanti pour une prise de risque maximale, nécessaire pour pouvoir en vivre (ou tout du moins en tirer un revenu décent). Et bien sûr les fortes têtes peuvent être éliminées séance tenante.

Pour pousser un peu plus loin, certains livreurs peu scrupuleux “sous-louent” leur compte à des sans-papiers, se réservant par là-même 50% de la rémunération d’une course qu’ils n’ont pas effectué (et encore quand ils payent le pauvre gars qui a fait le boulot à leur place).

Le rêve capitaliste poussé à son paroxysme. Deliveroo comme Uber Eats réfutent bien évidemment tout lien de subordination entre eux et les livreurs, qui deviendraient alors des salariés, avec toutes les obligations que cela implique.

Oui mais comment résister à une envie de sushis ?

Bien sûr, le premier réflexe est de boycotter ces plate-formes, et d’aller chercher les sushis soi-même. Sauf que… pour un qui boycotte, combien de centaines d’autres utiliseront quand même l’application, profiteront du confort que cela amène ? Donc finalement, à part se donner l’illusion de bonne conscience, ça ne changera pas le système.

A mon échelle, il m’arrive d’utiliser l’application de temps à autre (j’avoue qu’après 2 mois de privation liée au confinement, offrir un Burger King à la maison à mes gamins était quand même source d’une certaine joie). Je note systématiquement la livraison au max possible et je rajoute un pourboire pour le livreur, afin de m’assurer que son déplacement soit rentable… même s’il est en retard, même s’il ne pédale pas aussi vite que l’application le voudrait.

Plus globalement, je pense que c’est à l’Etat de faire le boulot, en imposant des règles (rémunération minimale, cadre de protection sociale, cadre règlementaire sur les algorithmes, droit de représentation syndicale des livreurs). Vous me répondrez que les plate-formes n’accepteront jamais ce genre de règle. C’est un risque en effet. Mais le marché ayant horreur du vide, je suis convaincu que si elles décidaient d’abandonner le terrain, d’autres les remplaceraient rapidement et avec probablement le même succès. Ces règles augmenteraient bien sûr le prix final payé par le client, mais se faire livrer ses sushis à domicile est une forme de luxe, qui n’existait pas il y a encore 5 ans.

Alors Elodie, toujours envie de sushis ?

8 commentaires

  1. Ouais, grave!
    Mais je vais finir par les faire moi-même ou aller les chercher sur place.
    (Cela dit, près de chez moi, c’est le resto qui livre direct…)
    Et pour le coup, ça fait bien 4 mois que je n’en ai pas mangés.
    Excellent billet.

  2. Je n’aime réellement pas les sushis. Je ne peux pas en bouffer. Je connais une seule autre personne dans ce cas : ma mère. Mais elle n’a plus les obligations mondaines que je peux avoir.

    Cela étant, je suis parfaitement d’accord avec toi. Je ne commande jamais par correspondance des produits quand je n’ai pas trop le choix (mais j’ai bien vu ton argument sur le fait qu’il faut bien faire plaisir aux mômes) et je me battais (avant le confinement) au quotidien contre les collègues qui se faisaient livrer à bouffer au bureau parce qu’avec les promotions, ils peuvent ne payer que cinq euros, quasiment tous les jours (il suffit, chez certaines boites, de changer d’adresse mail pour être considéré comme un nouveau client alors que seul le numéro de téléphone permet de gérer la commande, ou le contraire). Je boycotte ce genre de service (et je préfère les G7 aux Uber pour me déplacer sauf en heures très creuses mais je laisse du pourboire).

    La solution doit passer par la loi ce qui ne m’empêche pas de me revendiquer libéral. Tous ceux qui bossent en permanence pour une boîte ou dans un système doit être considéré comme un salarié et assujetti au droit du travail. Donc le SMIC.

  3. Ceci dit, Ubereats comme Deliveroo ne se rangeront pas plus aux réglementations que ne le font Airbnb ou Amazon. Quand Amazon s’est récemment fait taper sur les doigts pour non-respect des consignes Covid, Amazon a fermé (momentanément) ses entrepôts français (coupant ainsi les vivres des salariés Amazon français) pour faire travailler tous les entrepôts de pays voisins. C’est scandaleux.

    Est-ce qu’Élodie a eu ses sushis (aux métaux lourds) ?

    • L’avantage c’est que Deliveroo ou UberEats peuvent pas trop faire livrer depuis les pays voisins (sinon ils seront plus frais les sushis 😁).
      Plus sérieusement et comme je le dis, s’ils désertent le terrain d’autres prendront la place et serons ravis de le faire même si la réglementation est plus contraignante. C’est hyper rentable au final. La mise en relation entre le client, le restaurant et le livreur c’est automatique et ça rapporte à chaque course. Celui qui sera le plus impacté sera le consommateur final parce que la réglementation rendra la livraison plus chère. Mais c’est le prix d’un service de confort. Moi ça me choque pas de payer plus pour ce genre de service.
      Le marché existe, les gens se sont habitués. Si on leur explique que c’est plus cher parce que ça garantit de meilleures conditions aux livreurs, vu le public ciblé (souvent des CSP+) ça choquera pas non plus.

      • Absolument d’accord, même si je ne suis pas optimiste. Va proposer aux gens d’acheter des fringues à 20€ le t-shirt fabriqué en France (qualité et rémunération décentes, tant pour les produits utilisés que pour la fabrication) ou un t-shirt à 1€ chez Zeeman (qualité pourrie, t-shirt qui ne va pas durer toussa toussa et fabriqué en Asie dans des fabriques aux conditions affreuses), pas sûr que le client lambda choisisse la qualité (chère). Mais bon, je suis dans ma phase “le monde d’après” n’est pas pour demain (après la lecture du billet d’un “odieux connard”) et je ne maîtrise pas tous ces sujets o_O

        • Oui c’est tout un débat. Il y’a aussi le problème de pouvoir payer 20€ pour un t-shirt made In France (avec 1350€ de salaire j’avoue j’ai du mal). Et on touche à quelque chose de bien plus vaste et qui implique nos modes de vie et l’Europe dans son intégralité.

  4. Livrés ou “sur place”, la question n’est pas là. Ce qui compte, c’est que les sushis aient été préparés par des JAPONAIS, qui, eux, respectent strictement les règles d’hygiène impératives qu’implique le poisson cru. Malheureusement, désormais, 90 % des restaurants à sushis sont tenus par des Chinois qui, eux, ont tendance à traiter les dites règles par dessous la jambe.

    D’un autre côté, comme, aujourd’hui, tout le monde semble se foutre des maladies qui NE SONT PAS le co-vide, c’est sans importance.

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