Bosser de la maison ? Dans tes rêves !

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Sur son blog, Denis listait les avantages et les inconvénients du télétravail. Il concluait sur les pertes pour “l’économie de marché”, et les avantages certains, sur la pollution de nos villes et le bien-être des salariés concernés.

Sauf que, c’est loin d’être possible partout, dans tous les secteurs d’activité (loin de là), et c’est l’occasion de créer une nouvelle inégalité

T’avais qu’à mieux bosser à l’école

Le télétravail est possible pour entre 20 et 30% des actifs. Et souvent pour les cadres et les postes les mieux rémunérés. Imagine-t-on un patient se faire ses piqures lui-même, alors que l’infirmière, en visio, le guide à distance, imagine-t-on l’ouvrier de chez Renault installer une portière depuis son salon, imagine-t-on l’employé de grande surface remplir le rayon de pâtes depuis son canapé ? Clairement les emplois les moins qualifiés ne sont pas concernés.

Et là se créée la nouvelle inégalité. Les télétravailleurs se retrouvent soudain, à rémunération égale, mieux payés qu’avant. Plus de frais de déplacements, plus de frais de cantine à midi, plus de frais de costards, chaussures, cirage pour arriver nickel au boulot. Même le déo est optionnel (si tu as les aisselles qui pèguent personne ne s’en rend compte en visio).

Par contre, l’ouvrier de base, qui souvent a dû quitter le centre-ville pour habiter en banlieue (ou l’arrière-pays par chez nous, les loyers niçois sont inabordables pour un smicard), continue à devoir payer le gasoil pour sa Clio (pour laquelle le crédit court toujours d’ailleurs) pour se rendre au taf’ tous les matins, et remplir les objectifs fixés par le groupe de travail qui s’est réuni en visio mardi matin – entre le café et l’arrosage des plantes vertes. Certes il peut prendre les transports publics, sauf que quand tu embauches à 4h du matin à l’hyper, les transports publics tu peux les attendre longtemps …

Donc, on améliore le confort de travail des cadres, on fait baisser le niveau de pollution des villes, on réduit l’emprise du foncier d’affaires sur le territoire de certaines métropoles ; ça fait de la place pour des logements me direz-vous, mais on peut compter sur les promoteurs pour construire du logement de luxe, toujours inaccessible pour les “premiers de tranchée”.

Comment on compense ?

Je ne remets pas en cause l’utilité, voire la nécessité de convertir le plus possible de salariés au télétravail. Tous ceux qui en bénéficieront y gagneront en qualité de vie (sous condition de respecter les règles de base pour encadrer les bonnes pratiques et éviter les abus), nos centre-villes respireront mieux, et l’espace ainsi dégagé pourra être réutilisé pour d’autres choses, à condition que les collectivités sachent profiter de l’aubaine pour densifier leur parc de logements sociaux (par exemple).

Il me paraît par contre inconcevable de créer encore une opposition entre les “privilégiés” et le reste de la population des travailleurs. Ne serait-ce que pour conserver une certaine sérénité au sein même des entreprises. Quand on est en bas de l’échelle, on a souvent l’impression que le cadre ne produit rien (oui c’est souvent faux, mais allez donc interroger ceux qui sont dans les usines dans les magasins etc.). Si en plus ce fainéant ne produit rien, mais peut le faire tranquillement au bord de sa piscine et est mieux payé que celui qui trime à l’usine, le climat social risque fort de devenir explosif…

On peut envisager de créer un principe de préjudice de présence obligatoire sur site, et un système d’indemnisation du préjudice. Du temps du quinquennat Hollande, il existait des critères de pénibilité du travail (et n’en déplaise à certains, tirer des palettes, supporter les clients dans le brouhaha d’un commerce, soigner des malades peut parfois avoir un côté pénible). On peut donc considérer que l’obligation de déplacement devienne un critère de pénibilité, (il faudra pour cela rétablir les critères supprimés par Macron), compensé par divers avantages (rémunération, durée de cotisation pour la retraite, etc.). Et il ne s’agit pas là de “réconforter” certaines catégories de salariés, (n’est-ce pas Nicolas ?) mais de reconnaître le caractère indispensable de leur métier et des contraintes qui y sont associées.

Sans cela, vous aurez du mal à les trouver les pâtes dans le magasin 😉

3 commentaires

  1. C’est un peu caricatural, en opposant d’un côté les bobos-salariés et de l’autre les pue-la-sueur. C’est un discours qu’on pourrait même entendre chez les patrons ! ;+) Tâche de ne pas basculer du côté obscur de la force, comme j’ai hélas basculé en 2017. Mea culpa, on ne m’y reprendra pas !

    D’abord, même si le télétravail concerne 20% des personnes, ce que j’ai écrit dans mon article au passage, ils n’y seront pas à 100% de leur temps. Le télétravail n’est pas l’apanage des cadres. Ils concernent aussi les employés qui s’usent les doigts et les yeux à longueur de journée, sur des opérations toutes aussi répétitives. Quant aux travaux pénibles, ils sont tendanciellement remplacés par des robots. Je ne me souviens plus de cette étude qui avait conclu à l’accélération la destruction – créatrice ou pas – des emplois dans les services et l’industrie

    Le télétravail pose aussi la question du mélange de l’espace public et de l’espace privé. Il y a beaucoup de personnes qui n’acceptent pas de travailler chez eux, à domicile, qui n’y sont pas habitués et qui sont dans l’incapacité de s’organiser. D’ailleurs, sur cette question, les syndicats jouent en eaux troubles.

    Tu soulèves la question de la pénibilité, à juste titre. Rien n’a été résolu sur cette thématique. Ajoutons-y la nécessaire réduction du temps de travail et du partage des gains de productivité, sur fond de transition écologique et énergétique. Et sur ce dernier point, le télétravail fait partie de la solution. Vive le télétravail, la téléformation, la fibre, le très haut-débit et, comme disait Desproges, que Dieu me tripote !

  2. Denis a dit beaucoup. Il y a un vrai risque d’accentuer des inégalités, mais c’est un faux semblant. En tant que cadre supérieur dans une boîte, l’inégalité est déjà là par rapport à un employé de base. Compenser le temps de transport au nom de la pénibilité. Bosser pour un centre d’appel (ce qui peut se faire de chez soi avec les technologies modernes) restera certainement plus pénible que certains boulot où la présence sur site est obligatoire. D’ailleurs, beaucoup de boulot manuel ont un côté gratifiant vu qu’on sait pourquoi on bosse, on est presque créatif (y compris le mecs qui met des paquets de pâtes dans une rayon : il faut qu’il le fasse de manière à ce que le client ait envie d’acheter, c’est un vrai job).

    Il faut parfois avoir des raisonnements froids : certains métiers peuvent se faire en télétravail, d’autres pas, et basta ! Tu peux ajouter le temps de travail dans la rémunération du boulot mais les salariés auraient intérêt à habiter plus loin… Quand un problème n’a pas de solution, il faut l’éluder.

    Tout d’abord, il y a peu de métiers qui mélangent les télétravailleurs et les autres. Prenons la comptable d’une concession automobile. Elle sera la seule à pouvoir faire une grande partie de son job à la maison. Il ne faut pas la pénaliser parce qu’elle est la seule. Elle doit pouvoir ne passer qu’une seule fois (par exemple) par semaine au bureau et avoir la paix le reste du temps.

    Parfois, il n’y a pas de compensation possible. Dans la grande distribution, il y a un problème : les salaires sont insuffisants et le télétravail n’est possible que pour une pognée d’individu. On ne compensera rien et on ne résoudra pas le problème.

    Dans ton billet, tu me prends à parti sur le réconfort des salariés (je ne sais pas pourquoi, j’ai peut-être dit une connerie dans Facebook). Un agent d’entretien a un boulot indispensable qu’il ne peut pas faire en télétravail. Il le sait. Son patron le sait. Crois tu que ça changera grand chose pour lui qu’on me rajoute une heure de métro pour pouvoir le prendre dans les bras et le consoler ?

    Pour moi, le risque est ailleurs : qu’on prenne de mauvaises raisons pour limiter le télétravail, comme la raison des inégalités.

    • Je ne dis pas qu’il faut limiter le télétravail … au contraire. Je suis globalement pour, justement parce que ça participe à ma vision de rendre le travail plus « confortable ». J’y gagne aussi même si je ne travaille pas à distance (moins de monde dans le bus… c’est purement égoïste mais au moins je serais assis). Et aussi parce que moins de transports je suis convaincu que c’est tout benef’ pour tout le monde.
      Mais ça ne résout pas un problème, qui a conduit les gilets jaunes a manifester. Pour un grand nombre de salariés du bas de l’échelle, les déplacements sont contraints et le plus souvent à leur frais. Y’a bien la déduction fiscale de 10% m, mais beaucoup de ceux-là ne payent pas d’impôts de toute façon. La déduction fiscale ça leur passe bien au-dessus.
      Et le cadre en télétravail, même partiellement, verra ses frais pros diminuer d’autant, donc mécaniquement son pouvoir d’achat augmenter. Pour l’ouvrier ou l’employé de grande distribution, ça changera rien il mettra encore une partie de son salaire pour se déplacer. Et 200 balles par mois dans la bagnole et le gasoil quand t’en touches 1300 ça pique. Dans l’esprit des gens ça va forcément renforcer le sentiment (et pas que) d’injustice.
      Et Nicolas y’a rien de gratifiant à mettre des pâtes en rayon (surtout pas le salaire). Vu le comportement de certains clients c’est pas toujours l’endroit où on a envie de les mettre…
      Bien sûr le problème de fond porte sur la faiblesse des rémunérations dans ces métiers (qui se sont révélés bien utiles pourtant), mais je ne me fais pas d’illusions la dessus. Je souhaite juste mettre le doigt sur le risque potentiel d’une nouvelle division, et des moyens d’y parer.
      Le changement de modèle de société marchera si tout le monde y adhère. Si c’est pour laisser les “petits” sur le bord de la route ça marchera pas. Et l’écologie punitive on sait bien que ça va pas le faire (rappelez-vous juste pourquoi les gilets jaunes sont sortis à l’origine … une taxe supplémentaire sur le gasoil ).

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