La vie “low-cost“

Image par Tumisu de Pixabay 

Dans un précédent billet, je vous racontais les contraintes imposées par la vie avec un petit salaire. Au-delà de dimension économique, cette situation a aussi des conséquences bien plus durables.

Le plafond de verre

L’ascenseur social est cassé – depuis longtemps. Il est de plus en plus difficile de “progresser“ dans nos sociétés. Les élites s’enferment dans un cercle de plus en plus restreint et de plus en plus fermé. Que ce soit dans les milieux politiques, économiques, culturels, il y a un “plafond de verre“ qui devient de plus en plus infranchissable. Un Bérégovoy, titulaire d’un CAP, qui devient Premier Ministre, voilà une chose bien impossible aujourd’hui. La plupart des personnels politiques sont issus d’un sérail qui a fait l’ENA, Sciences-Po ou d’autres grandes écoles quasiment inaccessibles à l’enfant d’ouvrier. Le militant lambda restera un militant lambda – colle tes affiches et tais-toi !

Et c’est la même chose pour les dirigeants d’entreprise : les entrepreneurs ont laissé la place aux financiers, les managers issus du terrain sont remplacés par des diplômés d’écoles de commerce (sur)payée par papa-maman. Les titres ronflants ont remplacé l’expérience du terrain, et accéléré la déconnexion entre les élites et le peuple. Ne croyez pas trop au modèle du jeune qui lance sa start-up : soit l’idée de départ était excellente, soit il était déjà issu d’une famille plutôt aisée et avait de l’entregent pour démarrer son business.

De plus, les classes moyennes et populaires sont boutées hors des centres de décision, repoussées au loin par un immobilier hors de leur portée. Les élites s’installent et s’organisent entre elles : cachez ces pauvres que je ne saurais voir … mais qui travaillent pour moi !!!

Déclassement

La génération actuelle vit moins bien que la précédente. Revenus qui stagnent, craintes sur l’emploi, perspectives d’évolution bouchées : ce ne sont pas les motifs qui manquent pour se sentir déclassé. Dans les années 70, appartenir à la classe moyenne était synonyme d’une certaine réussite sociale. Les salaires grimpaient, le pouvoir d’achat s’améliorait, on pouvait envisager une carrière évolutive, l’achat de sa maison et une retraite confortable.

Quel jeune aujourd’hui, payé au SMIC ou à peine plus, peut envisager sereinement le même avenir ? Les emplois sont précaires, les traitements dans la fonction publique sont gelés depuis des années, le rêve immobilier devient de moins en moins accessible, et la retraite s’éloigne à chaque réforme. Autant dire que ça ne fait pas rêver.

Parallèlement, les plus riches affichent avec de plus en plus d’arrogance leurs millions de dividendes, leurs salaires faramineux et leurs retraites-chapeaux, contribuant à augmenter chaque jour le sentiment d’injustice auprès de gens qui inlassablement se lèvent tous les matins, accomplissent leurs tâches du mieux possible, et en retirent un revenu trop faible pour vivre décemment.

L’ouvrier, l’employé d’hier était fier de son statut, était fier de son travail, parce que celui-ci lui permettait de progresser, de vivre mieux. Aujourd’hui il se cache, se terre dans sa banlieue, se réfugie devant sa télé achetée à crédit parce que les loisirs culturels, sportifs, créatifs, sont de plus en plus reservés à une élite constituée de cadres qui souhaitent rester entre eux.

Frustration

Tout nous incite à consommer, voire à consommer mieux. La télévision, la radio, Internet … l’injonction publicitaire est partout. Et depuis quelques années, industriels, commerciaux, distributeurs sont passés à la moulinette du greenwashing : ta vieille voiture pollue, change-la pour une électrique beaucoup plus chère, mange des légumes bio, c’est bon pour ta santé, consomme moins d’électricité en changeant ton électroménager, rénove ta maison… Mais quand ton activité préférée du mois est de résoudre l’insoluble équation de ton budget riquiqui, c’est impossible de répondre à tout ça.

Du coup, en plus de se sentir coupable de ne pas avoir “réussi sa vie”, l’ouvrier est désigné comme celui qui pollue avec son diesel, son chauffage à fond pour réchauffer un appartement mal isolé, et ses tomates belges de chez Carrouf’. Avec un brin de chance, il finira obèse ou diabétique et plombera les comptes de la Sécurité Sociale avec ses ALD… qui en contrepartie le rendront encore un peu plus pauvre.

L’avenir ? Quel avenir ?

C’est bien là tout le problème. Aucun avenir ne s’offre à ces gens-là, aucun espoir de voir leur condition s’améliorer. Mois après mois recommencera l’inlassable lutte contre le découvert bancaire (souvent perdue d’avance), le cycle métro-boulot-dodo agrémenté d’un peu de (BFM) télé, et ainsi de suite jusqu’à une retraite qui, au lieu d’être la juste récompense d’une vie d’efforts, prolongera encore et toujours le combat contre la précarité.

D’aucuns me diront qu’il existe des dispositifs de formation professionnelle pour évoluer. Ils sont pour beaucoup inaccessibles, un réel labyrinthe administratif, et souvent se pose la question du maintien du revenu pendant la période de formation. Et quand bien même, une fois diplômé, l’expérience requise manquera et l’employeur préférera un candidat qui maîtrise déjà les arcanes du métier. Pour les plus chanceux, ils exerceront dans un domaine qui leur plaira plus… mais le salaire restera peu ou prou souvent le même.

Alors certes, on nous montre en exemple des cadres sup’, qui après 10 ans de carrière grassement payés dans la pub’ ou le conseil, décident brusquement de devenir fermiers dans le Larzac… c’est bien joli tout ça, mais ceux-là ont eu la chance de pouvoir construire un capital suffisant (ils ont gagné en quelques années ce que l’ouvrier gagnera dans toute sa vie voire plus). Et puis en se débrouillant bien, ils récupéreront quelques aides de l’Etat et/ou de l’Union Européenne, les remerciant pour leur sacrifice et leur vertu.

Où est l’espoir dans tout ça ? Où est la part de rêve, celle qui pouvait amener à croire qu’une vie meilleure est possible ? Où est la possibilité d’espérer que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, que dans 5 ans, dans 10 ans, les efforts consentis seront récompensés ? Depuis 30 ans, on ne fait que demander toujours plus de sacrifices aux gens, de se serrer la ceinture – mais au profit de qui ? Le chômage ne baisse pas, les salaires stagnent, les emplois se précarisent et les plus riches s’enrichissent toujours plus… n’en déplaise aux libéraux et à leur Président, ça ne ruisselle pas.

… à suivre…

2 commentaires

  1. On croirait lire un tract de la CGT.
    Tu devrais faire l’expérience suivante, lire des journaux l’Humanité espacés de dix ans, un de 2010, un de 2000….jusqu’à. un de 1920.
    Tu pourras constater qu’on peut y lire les mêmes gémissements d’année en année, comme ce que tu écris ci-dessus. Pourtant j’ai l’impression que la situation s’améliore globalement, il n’y a qu’à compter le nombre de véhicules qui circulent, ou bien regarder des photos des années 50, ou bien observer le déferlement d’objets sur les brocantes……

    • Sauf que … la situation ne s’améliore pas tant que ça. Bien sûr qu’on consomme plus que dans les années 50-60-70, les besoins ont évolués (et pas sûr que ce soit un bien). Et comme je le disais, la génération de mes parents et de mes grands-parents travaillait plus durement, mais en contrepartie il existait une certaine sécurité de l’emploi et la possibilité de se projeter (progression des salaires, achat d’un appartement ou d’une maison, retraite permettant de vivre dignement). Aujourd’hui tout cela s’éloigne, devient chimérique pour certains.
      J’ai connu 3 réformes des retraites depuis mon entrée dans le monde du travail, chacune demandant de travailler plus longtemps et diminuant la future pension. Je ne suis pas en mesure d’acheter un bien immobilier (les banques ne me prêtent pas assez d’argent pour cela)… et, par les choix de mon entreprise, mon revenu annuel a baissé n’est pas revenu à son niveau d’il y a … 10 ans. Et la crise du COVID a fortement augmenté les menaces sur les emplois, donc la survie même de beaucoup de familles.
      Et dans les années que tu cites (on fera une exception pour les années 40), les syndicats se battaient pour conquérir de nouveaux droits, pour que la société progresse. L’essentiel de la lutte aujourd’hui consiste à tenter de conserver ce qui est déjà acquis. C’est loin d’être un progrès, c’est loin de donner l’espoir.

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