Il y a un truc qui aura duré encore moins longtemps que Michèle Rubirola à la tête de Marseille : la chaîne Téléfoot. Chronique d’un désastre annoncé.
La surenchère
En mai 2018, la Ligue annonce fièrement le résultat des appels d’offre pour les droits de diffusion des Championnats de Ligue 1 et Ligue 2 : le grand gagnant est Mediapro, groupe de médias sino-espagnol, qui annonce 800 millions d’euros annuels pour 80% des matchs, le reste étant attribué au groupe qatari BeIn. Le grand perdant est Canal, diffuseur historique de la Ligue1 (Conforama à l’époque).
Les droits de notre Championnat dépassent le milliard d’euros annuel. 1 milliard pour regarder le PSG mettre des déculottées à à peu près toutes les autres équipes, 1 milliard pour des Nantes-Bordeaux sans saveur, 1 milliard pour un championnat de niveau correct, mais qui est loin du prestige des grands d’Europe. Honnêtement, un championnat sponsorisé par un fabricant de meubles, ça envoie pas du rêve non plus (maintenant ils sont sponsorisés par … Uber Eats ; c’est plus prestigieux non ?) D’entrée de jeu ça paraissait irréaliste. Sachant que dans le même temps, la Ligue italienne, ne voyant pas l’argent promis par Mediapro arriver, récupérait ses droits.
L’éclatement de l’offre
Pour le supporter, un gros dilemme se posait : à quel opérateur s’abonner pour voir les matches de son équipe préférée. Avant c’était limpide : Canal avait la plupart des droits, quelques matches étaient disponibles sur BeIn, disponible en pack avec Canal … et en prime on avait droit à d’autres sports assez sympas et du cinéma à gogo. Bref avec un abonnement toute la famille y trouvait son compte.
Et d’un coup, l’offre s’est morcelée, au grand dam des supporters. Il fallait s’abonner à :
– Téléfoot (Ligue 1 et Ligue 2) : 25 €
– RMC Sport (Ligue des Champions) : 20 €
– Canal + (quelques affiches de L1, La Premier League anglaise et le D1 féminine ) : 25€ aussi.
Soit un total de : 70€ par mois minimum … et encore il en manque probablement.
Autant un abonnement comprenant le foot et d’autres contenus peut se justifier (ne serait-ce que parce qu’il est partagé par toute la famille), autant une somme aussi élevée juste par amour du ballon rond n’était pas acceptable pour un grand nombre de supporters. Mediapro annonçait un objectif de 3 millions d’abonné-e-s pour être rentable. C’était d’entrée de jeu complètement irréaliste au vu des tarifs annoncés.
C’est la faute à corona…
Dès l’automne, premières catastrophes : Mediapro demande le report des premières échéances, sous prétexte de conjoncture économique difficile à cause du Covid. Le problème c’est que les clubs ont besoin de cet argent pour payer les salaires des joueurs, et sans joueurs pas de matches (j’avoue que l’idée de voir les stars du ballon rond manifester pour réclamer leurs salaires m’aurait quand même bien fait sourire). Déjà ça sentait le sapin (de Noël). Donc depuis 3 mois, la LFP n’a pas touché un centime du diffuseur, qui a pourtant lui continué à prélever ses abonnés.
Et, il y a quelques jours, le couperet tombe. Le contrat est résilié, Mediapro va s’en sortir avec une petite indemnité, et il n’y a plus qu’à recommercialiser les droits en urgence … et probablement au rabais (c’est les soldes avant l’heure).
La gourmandise des présidents
Mediapro n’est pas le seul coupable : on peut légitimement s’interroger sur la gourmandise de la Ligue et de ses principaux dirigeants, qui sont aussi les présidents des clubs de football français, donc les principaux bénéficiaires de cette pluie d’argent. Tous se sont félicités de cet accord “historique pour le football français” , mais aucun ne s’est méfié, questionné sur l’interêt de cet acteur quasi inconnu pour notre championnat, et qui arrivait avec des valises d’argent magique pour les clubs.
Cupidité ou ignorance ? Probablement un peu des 2. Les clubs français veulent grandir, exister sur la scène européenne et internationale, et pour cela il faut de plus en plus d’investissement – ne serait-ce que pour attirer les meilleurs joueurs dans leurs clubs. Sauf qu’on touche là les limites d’un modèle : le supporter est transformé en bailleur de fonds, que ce soit par la billetterie, les droits TV (qu’il finance par les abonnements), les produits dérivés, etc.
Le foot est devenu un spectacle, une sorte de cirque itinérant pour lequel on essaie de tirer le maximum dans la poche du passionné … sauf que c’était et ça reste un sport populaire et que le peuple a déjà les poches vides. Rares sont ceux qui privilégient leur billet pour le spectacle du samedi soir à la couverture de leurs besoins (loyer, nourriture etc.). Et cette péripétie montre que la limite est atteinte voire dépassée.
Et demain ?
Demain on ne sait pas. Les journalistes et techniciens de Téléfoot vont se retrouver au chômage, les droits vont être revendus (moins cher très probablement), les présidents viendront pleurer de cet argent envolé qui va faire chuter les performances de nos clubs, et comme le Covid empêche les supporters d’aller au stade, la billetterie restera fermée. Il y aura des trous dans les caisses, et des transferts d’actifs (de joueurs pardon) pour tenter de les colmater.
Comme dans toute fable, il y a une morale : cette histoire montre clairement les dérives du système capitaliste, qui finit par s’effondrer à force de vouloir toujours plus grandir. Il est temps de revenir à des valeurs plus saines, on peut déjà commencer par le plaisir de taper dans un ballon et de supporter son équipe sans devoir y laisser sa CB, ça serait déjà pas si mal !