Image © Nice-Matin
Ce samedi, comme à la parade, ont défilé dans le quartier des Moulins les têtes de gondole du nouveau gouvernement : le Premier Ministre, le Garde des Sceaux et le Ministre de l’Intérieur (qui était déjà là jeudi – il va nous coûter un pognon de dingue en vols Paris-Nice) se voyaient offrir une visite guidée de ce haut lieu des trafics niçois, spectaculairement mis en lumière ce début de semaine par une fusillade en pleine rue.
Bien évidemment tout ceci a été suivi d’une batterie de mesures censées endiguer le problème : recrutement de 60 policiers supplémentaires pour Nice, primes pour les policiers (pour compenser la cherté de la vie … faudrait que je demande la même à mon patron pour voir), élargissement des prérogatives des policiers municipaux. Bref, on lutte contre les conséquences des trafics … mais pas sur les causes.
Le trafic est pour certains jeunes le seul moyen de subsistance. Le chômage, la pauvreté frappent de pleins fouet ces quartiers défavorisés, et l’inaction des pouvoirs publics pour lutter contre ces fléaux poussent certaines familles à se « débrouiller » pour pouvoir vivre. Quand un jeune ne voit guère de perpectives d’avenir et qu’on lui propose de l’argent « facile », il est aisé pour lui de se laisser tenter. Et on sait très bien qu’une fois « ferré » par un réseau il est difficile – voire impossible – d’en sortir.
Il ne s’agit pas pour moi d’excuser ces actes de violence, ces crimes, parfois commis en plein jour, à la vue de tous. Mais il faut comprendre comment on a pu arriver dans de telles situations.
Le parc social niçois
La loi Accès au Logement et Urbanisme Rénové (ALUR) impose un taux de logement social dans chaque commune de 25%. À Nice, on plafonne à un pénible 12,7% – en progression de … 2,2% depuis 2008. Forcément, les dossier sont traités en ordre de priorité et les logements sont réservés aux plus précaires, au détriment de de la mixité sociale qui était l’esprit originel de cette loi. En maintenant ce taux aussi bas, Christian Estrosi entretient ainsi la ghettoïsation des plus précaires… et s’étonne après des conséquences de ses propres actions.
De plus, ces quartiers sont souvent maintenus dans un certain isolement par rapport au reste de la Ville : le quartier de l’Ariane, qui compte près de 10.000 habitants est desservi par… une seule ligne de bus urbain. Tout est fait ainsi pour éviter que les Arianencs puissent descendre aisément en Ville. Il semble qu’après 10 ans d’obstination, Christian Estrosi comprenne enfin l’utilité d’une ligne de tram’ desservant ce quartier.
Enfin, les Niçois payent les conséquences de la politique de celui qui murmurait à l’oreille du Président – j’ai nommé Nicolas Sarkozy, qui, en chantre de la sécurité, n’a pas hésité à supprimer 10.000 postes de policiers durant son mandat.
Dépénalisation ?
Le gros des trafics est constitué par la revente de cannabis. C’est clairement un moyen facile de faire des revenus, le nombre de consommateurs augmente régulièrement, c’est facile à revendre et ça génère de juteux bénéfices.
Sans faire l’apologie du « bedeau », il m’apparaît évident qu’une dépénalisation, avec une distribution contrôlée (à l’image du tabac), casserait les dynamiques des trafiquants, obligés de prendre beaucoup plus de risques et de se tourner vers des « marchés » plus dangereux. Beaucoup se décourageraient, estimant que le risque pris serait trop important eu égard au bénéfice ainsi retiré.
De plus, la création d’une filière « légale » créerait des emplois, dans la production, le conditionnement et la distribution, et une partie de ces jeunes ont acquis de vraies compétences sur le sujet. Ils seraient ainsi à même de participer à la création d’une filière de qualité, produisant un produit adapté à la consommation, et de bien meilleure qualité que les résines fournies aujourd’hui par le trafic.
Enfin l’Etat, ne manquant jamais une bonne occasion, augmenterait significativement ses recettes fiscales, tout en diminuant les coûts qu’il consacre aujourd’hui à la lutte contre les trafics. De nombreux agents pourraient être ainsi réaffectés à d’autres missions tout aussi utiles à la sécurité des Français. Bref un deal gagnant-gagnant (pour employer le langage de la start-up nation).
Au lieu de cela, le Premier Ministre a préféré annoncer la généralisation d’une amende forfaitaire pour les consommateurs, qu’ils soient occasionnels ou réguliers, oubliant que beaucoup sont assez discrets pour ne pas se faire prendre par les forces de l’ordre qui ont souvent d’autres chats à fouetter.
Dans le monde d’après, on continue à réagir à l’actualité BFMTV plutôt qu’à réfléchir en amont. Ça valait bien un remaniement.